La Maîtresse De Brecht by Jacques-Pierre Amette

La Maîtresse De Brecht by Jacques-Pierre Amette

Auteur:Jacques-Pierre Amette [Amette]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Albin Michel
Publié: 2014-09-30T17:00:00+00:00


L’Ouest et les secteurs alliés publiaient des communiqués menaçants. La propagande faisait rage, dure, brutale. Les journaux d’Allemagne de l’Ouest se déchaînaient contre les dirigeants de Pankow. L’Église catholique, surtout du côté de Munich et de Rome, jetait de l’huile sur le feu. Les tempêtes de neige ne cachaient plus les incessants décollages et atterrissages d’avions militaires. La morale socialiste était ridiculisée par les éditorialistes à la solde des Américains. À Berlin-Est, dans les ministères, des équipes de fonctionnaires affichaient un zèle inquiétant. On discutait longuement pour savoir si la théorie léniniste de la connaissance était respectée sur les scènes allemandes. On multiplia les filatures, on ouvrit le courrier, on brancha des écoutes téléphoniques. Maria se sentait à nouveau utile dans ce vaste mouvement de reprise politique et d’élan révolutionnaire. « D’un cœur pur de plus en plus ardent », elle s’adonnait à son devoir et se montrait experte au lit avec Brecht, se donnant, se refusant, s’offrant, notant avec fébrilité le moindre de ses propos.

Son travail de renseignement la mettait de bonne humeur, lui donnait une curieuse gaieté : elle se réjouissait avec aigreur d’apporter sa contribution à une tâche dénonciatrice. Quand elle écoutait les merles chanter près de la cuisine, par la fenêtre ouverte, elle se sentait à l’unisson. Eux aussi se dénonçaient les uns les autres, d’une branche à l’autre. La nature de l’État, la nature de son travail, la Grande Nature primordiale travaillaient d’un même élan. L’Honneur… la Fierté… la Vertu… les merles… et ses fiches de renseignements apportaient la joie à cette nouvelle Nation. L’Histoire, les hommes et les oiseaux se débarrassaient d’un vieux monde pourri en chantant. Et chantaient la naissance d’un nouvel ordre sur les ruines de l’ancien.

Elle se sentait merle parmi les merles.

Brecht, lui, se partageait entre trois charmantes actrices. Enchanté de voir Maria de si bonne humeur, il ne cessait de multiplier les petits cadeaux. Levé de bon matin, il chantait en laissant chauffer le thé. Il lui annonça un matin qu’il l’invitait à passer tout l’été dans sa maison de Buckov. Maria nota l’information puis la transmit à Hans Trow avec les dates. Tout cela échouait au ministère de la Sécurité d’État.

Un planton pénétrait dans un vaste bureau, clair, arrondi, le général Orlow (nom de code) se levait lourdement et prenait les procès-verbaux avec un grognement. Claquement de talons. Il congédiait le planton d’un geste maussade puis, la porte fermée, commençait à déchirer de son index le pli, sortait la paperasse, parcourait ça avec une moue. La décadence de l’Ouest, westliche Dekadenz, imbibait les propos de ce Brecht. Il lisait vite, puis téléphonait à Otto Grotewohl, Ministerpraesident. Il tenait les preuves du jeu pernicieux de Bertolt Brecht. Brecht ? Un adversaire de la dictature du prolétariat. Un séparatiste dans un État qui avait, plus que jamais, besoin d’unité face aux agressions impérialistes yankees. Au fond, il aurait préféré avoir une conversation avec le général Clay plutôt qu’être obligé de lire les rapports sur Brecht et sa bande.



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